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POÉSIE D'HIVER

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Victor HUGO (1802-1885)

1

Nuits d'hiver

Comme la nuit tombe vite !
Le jour, en cette saison,
Comme un voleur prend la fuite,
S'évade sous l'horizon.

Il semble, ô soleil de Rome,
De l'Inde et du Parthénon,
Que, quand la nuit vient de l'homme
Visiter le cabanon,

Tu ne veux pas qu'on te voie,
Et que tu crains d'être pris
En flagrant délit de joie
Par la geôlière au front gris.

Pour les heureux en démence
L'âpre hiver n'a point d'effroi,
Mais il jette un crêpe immense
Sur celui qui, comme moi,

Rêveur, saignant, inflexible,
Souffrant d'un stoïque ennui,
Sentant la bouche invisible
Et sombre souffler sur lui,

Montant des effets aux causes,
Seul, étranger en tout lieu,
Réfugié dans les choses
Où l'on sent palpiter Dieu,

De tous les biens qu'un jour fane
Et dont rit le sage amer,
N'ayant plus qu'une cabane
Au bord de la grande mer,

Songe, assis dans l'embrasure,
Se console en s'abîmant,
Et, pensif, à sa masure
Ajoute le firmament !

Pour cet homme en sa chaumière,
C'est une amère douleur
Que l'adieu de la lumière
Et le départ de la fleur.

C'est un chagrin quand, moroses,
Les rayons dans les vallons
S'éclipsent, et quand les roses
Disent : Nous nous en allons !

........
V

Oh ! Reviens ! printemps ! fanfare
Des parfums et des couleurs !
Toute la plaine s'effare
Dans une émeute de fleurs.

La prairie est une fête ;
L'âme aspire l'air, le jour,
L'aube, et sent qu'elle en est faite ;
L'azur se mêle à l'amour.

On croit voir, tant avril dore
Tout de son reflet riant,
Éclore au rosier l'aurore
Et la rose à l'orient.

Comme ces aubes de flamme
Chassent les soucis boudeurs !
On sent s'ouvrir dans son âme
De charmantes profondeurs.

On se retrouve heureux, jeune,
Et, plein d'ombre et de matin,
On rit de l'hiver, ce jeûne,
Avec l'été, ce festin.

Oh ! mon coeur loin de ces grèves
Fuit et se plonge, insensé,
Dans tout ce gouffre de rêves
Que nous nommons le passé !

Je revois mil huit cent douze,
Mes frères petits, le bois,
Le puisard et la pelouse,
Et tout le bleu d'autrefois.

Enfance ! Madrid ! campagne
Où mon père nous quitta !
Et dans le soleil, l'Espagne !
Toi dans l'ombre, Pepita !

Moi, huit ans, elle le double ;
En m'appelant son mari,
Elle m'emplissait de trouble... -
O rameaux de mai fleuri !

Elle aimait un capitaine ;
J'ai compris plus tard pourquoi,
Tout en l'aimant, la hautaine
N'était douce que pour moi.

Elle attisait son martyre
Avec moi, pour l'embraser,
Lui refusait un sourire
Et me donnait un baiser.

L'innocente, en sa paresse,
Se livrant sans se faner,
Me donnait cette caresse
Afin de ne rien donner.

Et ce baiser économe,
Qui me semblait généreux,
Rendait jaloux le jeune homme,
Et me rendait amoureux.

Il partait, la main crispée ;
Et, me sentant un rival,
Je méditais une épée
Et je rêvais un cheval.

Ainsi, du bout de son aile
Touchant mon coeur nouveau-né,
Gaie, ayant dans sa prunelle
Un doux regard étonné,

Sans savoir qu'elle était femme,
Et riant de m'épouser,
Cet ange allumait mon âme
Dans l'ombre avec un baiser.

Mal ou bien, épine ou rose,
A tout âge, sages, fous,
Nous apprenons quelque chose
D'un enfant plus vieux que nous.

Un jour la pauvre petite
S'endormit sous le gazon... -
Comme la nuit tombe vite
Sur notre sombre horizon !


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Nuit de neige

Guy de Maupassant

La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d’un bois.

Plus de chansons dans l’air, sous nos pieds plus de chaumes.
L’hiver s’est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l’horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.

La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu’elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s’empresse à nous quitter.

Et froids tombent sur nous les rayons qu’elle darde,
Fantastiques lueurs qu’elle s’en va semant ;
Et la neige s’éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.

Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n’ayant plus l’asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.

Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur oeil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu’au jour la nuit qui ne vient pas.


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Victor HUGO (1802-1885)

Novembre

Je lui dis : La rose du jardin, comme tu sais, dure peu ;
et la saison des roses est bien vite écoulée.
SADI.

Quand l'Automne, abrégeant les jours qu'elle dévore,
Éteint leurs soirs de flamme et glace leur aurore,
Quand Novembre de brume inonde le ciel bleu,
Que le bois tourbillonne et qu'il neige des feuilles,
Ô ma muse ! en mon âme alors tu te recueilles,
Comme un enfant transi qui s'approche du feu.

Devant le sombre hiver de Paris qui bourdonne,
Ton soleil d'orient s'éclipse, et t'abandonne,
Ton beau rêve d'Asie avorte, et tu ne vois
Sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée,
Brouillard à ta fenêtre, et longs flots de fumée
Qui baignent en fuyant l'angle noirci des toits.

Alors s'en vont en foule et sultans et sultanes,
Pyramides, palmiers, galères capitanes,
Et le tigre vorace et le chameau frugal,
Djinns au vol furieux, danses des bayadères,
L'Arabe qui se penche au cou des dromadaires,
Et la fauve girafe au galop inégal !

Alors, éléphants blancs chargés de femmes brunes,
Cités aux dômes d'or où les mois sont des lunes,
Imans de Mahomet, mages, prêtres de Bel,
Tout fuit, tout disparaît : - plus de minaret maure,
Plus de sérail fleuri, plus d'ardente Gomorrhe
Qui jette un reflet rouge au front noir de Babel !

C'est Paris, c'est l'hiver. - A ta chanson confuse
Odalisques, émirs, pachas, tout se refuse.
Dans ce vaste Paris le klephte est à l'étroit ;
Le Nil déborderait ; les roses du Bengale
Frissonnent dans ces champs où se tait la cigale ;
A ce soleil brumeux les Péris auraient froid.

Pleurant ton Orient, alors, muse ingénue,
Tu viens à moi, honteuse, et seule, et presque nue.
- N'as-tu pas, me dis-tu, dans ton coeur jeune encor
Quelque chose à chanter, ami ? car je m'ennuie
A voir ta blanche vitre où ruisselle la pluie,
Moi qui dans mes vitraux avais un soleil d'or !

Puis, tu prends mes deux mains dans tes mains diaphanes ;
Et nous nous asseyons, et, loin des yeux profanes,
Entre mes souvenirs je t'offre les plus doux,
Mon jeune âge, et ses jeux, et l'école mutine,
Et les serments sans fin de la vierge enfantine,
Aujourd'hui mère heureuse aux bras d'un autre époux.

Je te raconte aussi comment, aux Feuillantines,
Jadis tintaient pour moi les cloches argentines ;
Comment, jeune et sauvage, errait ma liberté,
Et qu'à dix ans, parfois, resté seul à la brune,
Rêveur, mes yeux cherchaient les deux yeux de la lune,
Comme la fleur qui s'ouvre aux tièdes nuits d'été.

Puis tu me vois du pied pressant l'escarpolette
Qui d'un vieux marronnier fait crier le squelette,
Et vole, de ma mère éternelle terreur !
Puis je te dis les noms de mes amis d'Espagne,
Madrid, et son collège où l'ennui t'accompagne,
Et nos combats d'enfants pour le grand Empereur !

Puis encor mon bon père, ou quelque jeune fille
Morte à quinze ans, à l'âge où l'oeil s'allume et brille.
Mais surtout tu te plais aux premières amours,
Frais papillons dont l'aile, en fuyant rajeunie,
Sous le doigt qui la fixe est si vite ternie,
Essaim doré qui n'a qu'un jour dans tous nos jours.


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Soir d’hiver

Emile Nelligan

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu’est-ce que le spasme de vivre
A la douleur que j’ai, que j’ai.

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire! Où-vis-je? où vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés:
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.
Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu’est-ce que le spasme de vivre
A tout l’ennui que j’ai, que j’ai…


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